L’épigénétique, une révolution scientifique

Notre destin biologique n’est pas gravé dans notre ADN, nous pouvons agir sur lui. L’épigénétique atteste que nos comportements et notre environnement peuvent modifier l’expression de nos gênes. interview d’Ariane Giacobino, généticienne, médecin et chercheuse, auteure de « Peut-on se libérer de ses gênes? » aux éditions Stock (mars 2018).

Ariane Giacobino, peut-on se libérer de ses gènes ? édition Stock

Définition de l’épigénétique

Ce que nous mangeons, l’air que nous respirons, les produits toxiques auxquels nous sommes exposés, les événements stressants ou traumatisants que nous vivons, tout cela est susceptible de laisser des « cicatrices » sur nos gènes. Plus scientifiquement appelées des marques épigénétiques, ces « cicatrices » agissent comme un bouton de régulation du volume sur une chaîne stéréo : elles vont allumer ou éteindre le gène, favoriser sa pleine expression ou, au contraire, le rendre quasiment silencieux. Par exemple, si un gène impliqué dans la multiplication des cellules est rendu trop « bruyant » et donc trop actif, par une marque épigénétique s’étant installée sur lui, cela peut stimuler le développement d’un cancer. Au contraire, un gène impliqué dans la régulation de l’appétit « étouffé », ne pouvant plus s’exprimer, pourra conduire à des problèmes d’obésité. on parle d’épigénétique – littéralement « au-dessus » de la génétique – car ces marques ne font que se poser sur les gènes, sans altérer en rien l’ADN.

Les marques épigénétiques

La transmission des marques épigénétiques est un phénomène extraordinaire. En temps normal, lorsque l’embryon se développe in utero, son génome est « nettoyé » de toutes les marques reçues avec l’ADN de ses parents. Mais parfois ce processus ne fonctionne pas : certaines marques épigénétiques liées à des événements ou des contextes particulièrement intenses restent sur le génome du bébé. Il a, par exemple, été démontré que les enfants de personnes rescapées de l’Holocauste présentaient des marques épigénétiques semblables à celles de leurs parents, alors qu’ils n’avaient pas été directement exposés au traumatisme.

Épigénétique VS Génétique

Alors que nous héritons d’un code génétique qui restera inchangé jusqu’à notre mort, l’épigénome – le génome augmenté de toutes les marques venues se déposer sur lui – est beaucoup plus labile et dynamique. Ces marques sont, en effet, réversibles et effaçables, même si on ne sait pas encore exactement par quelle voie. Mais certaines hypothèses commencent à émerger. Des personnes souffrant d’attaques de panique et présentant des marques importantes sur certains gènes spécifiques ont senti ces marques s’estomper et les symptômes régresser grâce à une psychothérapie. Une alimentation saine, la pratique régulière d’une activité physique, seraient aussi des éléments importants pour diminuer l’impact de certaines marques épigénétiques défavorables à la santé. Ces « bons » comportements développeraient une forme de résilience biologique, nous rendraient moins sensibles au « marquage » en cas d’exposition à des traumatismes ou des environnements nocifs.

Ariane Giacobino

« Les thérapies épigénétiques connaîtront un essor important d’ici quelques années. Nous parviendrons peut-être à rendre silencieux tous les gênes du deuxième chromosome en cause dans la trisomie 21. »

L’épigénétique nous permettra-t-elle de guérir certaines maladies, dans l’avenir ? L’épigénétique est porteuse de vrais espoirs thérapeutiques. Il existe d’ores et déjà deux thérapies épigénétiques autorisées par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-unis et utilisées dans des cas de leucémies. Il s’agit de faire transporter par le sang des molécules pour éteindre les gènes en sur-régime impliqués dans la division cellulaire. D’ici quelques années, ces thérapies épigénétiques connaîtront un essor important. Peut-être parviendrons-nous à rendre silencieux tous les gènes du deuxième chromosome, en cause dans la trisomie 21 et gommer les effets de cette maladie. Ou encore, rendre plus actifs les gènes responsables de l’immunité et plus silencieux ceux porteurs d’une mutation occasionnant une maladie grave. Personnellement, le découverte de l’épigénétique a révolutionné mon exercice de médecin généticienne. En début de carrière, je n’avais aucun message d’espoir à délivrer à un malade à qui j’annonçais qu’il était porteur de la même mutation génétique que son parent malade. Aujourd’hui je peux lui tenir un autre discours. Son hygiène de vie, les interventions thérapeutiques et socio-éducatives dont il pourra bénéficier vont, en partie, moduler le cours de sa maladie, faire qu’elle s’exprimera probablement moins fortement que chez son parent. L’épigénétique redonne du pouvoir sur son propre avenir !

L’épigénétique tire-t-elle la sonnette d’alarme ?

Dans le cadre d’une recherche menée aux États-Unis, j’ai montré chez la souris que certains pesticides éteignaient un gène impliqué dans la fertilité et cela sur plusieurs générations. Une alerte à prendre très au sérieux compte tenu de la hausse constante des cas d’infertilité chez l’homme depuis cinquante ans. L’épigénétique démontre qu’il faut mettre en place des politiques de santé publique exigeantes en matière de protection contre les pesticides et les perturbateurs endocriniens. En ce qui concerne les maladies psychiatriques, l’épigénétique pourrait aussi nous inspirer des mesures de prévention plus soutenues. Des centaines d’études ont été menées partout dans le monde sur d’immenses cohortes de patients. Elles ont mis en lumière une certaine prédisposition génétique mais cela est suffisant pour expliquer la survenue de la pathologie. Certains facteurs environnementaux, comme le cannabis, jouent vraisemblablement le rôle d’une gâchette, faisant basculer dans la maladie psychiatrique. Il pourrait donc s’avérer très utile de renforcer les politiques de prévention contre les addictions auprès des jeunes.

Une dimension sociétale et politique

Les syndromes de stress post-traumatique, s’ils ne sont pas soignés, laissent des marques épigénétiques lourdes. Les personnes concernées restent alors très vulnérables pour le restant de leur vie et peuvent être sujettes à des crises d’angoisse, des dépressions, des conduites de désocialisation ou encore des comportements violents. Or, quand je vois tous ces migrants qui arrivent traumatisés de pays en guerre et qui ne sont pas pris en charge psychologiquement, j’imagine leur devenir épigénétique et celui des générations suivantes, plutôt inquiétants.

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L’ADN porte nos gènes (environ 25 000) et constitue nos chromosomes. La molécule d’ADN se trouve dans toutes nos cellules, c’est le « plan détaillé » de notre organisme, aussi appelé code génétique.

Alors que la génétique étudie les gènes, l’épigénétique s’intéresse à la façon dont ces gènes vont évoluer tout au long de la vie et se transmettre. Cette discipline démontre que non seulement nos gènes peuvent réagir à notre mode de vie (alimentation, activité physique, stress, plaisir) mais que nous pouvons transmettre ces nouveaux gènes à nos descendants.

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